jeunes gens, un peu de tenue !
JEUNES GENS... UN PEU DE TENUE ! LE COSTUME DE TRAVAIL...
ce TRAVAIL a fait l'objet d'une acquisition du MUSÉE DES ARTS ET TRADITIONS POPULAIRES pour ses collections, et d'une EXPOSITION au CENTRE d'ART CONTEMPORAIN de GENÈVE.
Il ont seize ou vingt-cinq ans et travaillent là où ils consommaient hier encore. Leur jeunesse voire leur couleur de peau les ont désignés pour être les officiants fringants (et souvent sous-payés) des grands-messes consuméristes et populaires d’aujourd’hui : ils sont vigiles pour magasins de vêtements, nouveaux préposés au service des Big Mac ou livreurs de pizzas... Seulement, dans la grande loterie des petits boulots, la majorité des jeunes passent aujourd’hui plus vite que leurs tenues. Le costume de "coéquipier" d’une enseigne de restauration habillera ainsi plusieurs serveurs, là où le boucher et le garçon de café d’hier usaient plusieurs habits identiques au fil d’une vie.
Ces tenues, que les jeunes doivent souvent blanchir eux-mêmes, les incitent-elles à faire corps avec leur entreprise et à intégrer le monde du travail, ou au contraire s’emploient-ils à cacher leurs vies derrière des costumes qu’ils chargent de porter seuls le poids de leur fonction et l’image de leur précarité ? Dans l’entreprise, la tenue est sommée de répondre aujourd’hui à plusieurs critères : exhiber une marque et son choix de valeurs (haut-de-gamme, innovant, conservateur...) ; répondre aux normes de sécurité et ne pas gêner les mouvements au travail ; illustrer le professionnalisme (propreté visible, évocation de la tenue de garçon de café...) ; désigner enfin clairement au client son interlocuteur, par les couleurs "flash" de la tenue comme chez Pizza Hut, ou par les éclairages braqués sur le salarié comme à Photo Service.
Les costumes professionnels sont devenus avec le temps l’illustration des enseignes plutôt que celle des métiers. Mais à Carrefour, Photo Service, McDo et ailleurs, les entreprises cherchent maintenant à innover de nouveau en cassant l’image trop mal vécue d’un salarié transformé par ses habits en porte-enseigne. On délaisse donc les couleurs flash (McDo), sollicite des couturiers de prêt-à-porter (Carrefour), on enlève la cravate imprimée au logo de l’enseigne (Photo Service)... Les jeunes sont invités parfois à personnaliser encore leur costume par de menus détails, ou bien se voient imposer un badge indiquant leur région de naissance, "pour créer un lien personnel avec le client". Mais, même indiscret, le jeu semble demeurer globalement insignifiant pour des jeunes à la fois critiques et fatalistes.
Grandis dans un univers de signes fabriqués par un marketing très agressif, ils voient dans leurs premiers jobs, au mieux, un accident nécessaire ou encore un prolongement rentable de leurs modes de vie. Sans complexe mais sans ostentation non plus, ils confirment dans leurs jobs une adhésion à une famille, non pas professionnelle, mais de consommation. Parce que c’est elle qui intègre en premier. Et à moins de faire une carrière de manager dans ces enseignes, la véritable intégration dans le travail, elle, ne viendra pour eux que plus tard et ailleurs.
karine gantin _ sophie loubaton